« J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et
presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références,
des points de départ, des sources». (Georges Perec)
« La maison est notre coin du monde. Elle est (…) notre premier univers ».
(Gaston Bachelard)
Rentrer chez soi… Nous ressentons le besoin d’apprivoiser un bout d’espace,
de bâtir un refuge, un cocon, un nid.
Un endroit enraciné, immobile, ou qui voyage dans nos bagages, déplié en cas de
besoin, ou encore celui qui existe en nous, qui nous définit comme notre propre
abri de nous-mêmes.
Nous essayons de définir « notre » place, celle qui nous protège et qui nous aide
à donner du sens à notre existence. Dessiner une forme, tracer des frontières,
ouvrir des portes, créer des passerelles, aérer, fermer, se réfugier, inviter «l’autre»
à rentrer… la danse du propriétaire du lieu.
Mais la notion d’espace est liée à celle du temps, si changeant, si insaisissable,
qui remet en question toutes nos certitudes.
L’écrivain Georges Perec disait que l’espace fond comme le sable qui coule entre
les doigts, emporté par le temps…
«L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est
jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête».
(Gaston Bachelard)
Alors comment saisir la forme fugace de notre endroit à nous… dans l’espace,
extérieur et intérieur, et dans le temps qui balaie nos idées arrêtées ?
Accepter paisiblement le flottement de la réalité qui nous entoure, le flou de nos
«auto-définitions», apprivoiser les doutes, l’utopie de la stabilité et de la sécurité
éternelle, aimer les lisières insaisissables de nos existences et des pistes hors
des sentiers battus, respirer suspendus dans un état «d’entre deux», amadouer
le «no man’s land»… et rêver, surtout rêver «des espaces heureux, là seul où l’on
peut trouver le repos et échapper à toute géométrie». (Gaston Bachelard)
Du côté formel dans mon travail, je reste suspendue entre le dessin et la peinture.
Au début, il y a le choix des images qui font «la narration». Il m’arrive de me
tourner vers internet, mais la plupart de temps, je réalise mes propres photographies.
C’est un moment important, déjà bien lié avec la logique du dessin,
où l’esprit graphique dicte la sélection des sujets et leurs transformations sur
Photoshop. Les transferts d’images sur le support, sont comme la première couche dans la peinture : très légers et approximatifs, ils me guident, suggèrent des matières à
garder, invitent à jouer avec des formes à deviner…
Je cherche à m’éloigner de la fragilité du dessin sur papier, trop précieux pour
moi, qui demande à être protégé par une vitre d’encadrement. J’aime confronter
la finesse et la délicatesse des traces du rotring avec la rigidité du support en
bois. Ce matériau est maniable : je peux le découper, le poncer, le peindre. Il
ajoute à mon travail une notion «d’objet».
Il y a plusieurs séquences dans ma manière de travailler, où chaque fois l’espace
s’accorde avec le temps : l’espace «brut», spontané et rapide, où j’affronte le
support avec des outils électriques, l’espace «surprise», aléatoire et hasardeux,
quand je découvre les résultats de mes transferts, l’espace «méditatif», calme et
posé, quand je trace des lignes fines à l’encre de chine, l’espace «apaisement»,
lent, silencieux et spacieux, où j’entoure mes dessins avec une couche épaisse
de peinture blanche…
« Le problème n’est pas tellement de savoir comment on en est arrivé là, mais
simplement de reconnaître qu’on en est arrivé là : il n’y a pas un espace, un bel
espace, un bel espace alentour, un bel espace tout autour de nous, il y a plein de
petits bouts d’espace ». (George Perec)
Anna Novika Sobierajski

A découvrir jusqu’au 25 novembre 2018 à la galerie MARTAGON à Malaucène.
Exposition « Parcelles » avec Claire Dantzer, Pascale Hugonet, Ariane Maugery, Océane Moussé, Armelle De Sainte Marie